Exemple concret

Le cacao pour lutter contre la fièvre de l’or

Le territoire des Yanomami est touché par l'orpaillage illégal. Malgré tout, ce commerce lucratif attire aussi les jeunes Yanomami. Voices et son organisation partenaire « Instituto Socioambiental » encouragent une alternative : cultiver et transformer le cacao, ainsi que reboiser les terres détruites.

IMG_0424_Cover IMG_0424_Cover

Voices soutient un projet de culture du cacao en Amazonie brésilienne qui permet de renforcer les communautés autochtones des Yanonami et Yek’wana dans leur lutte contre la déforestation et l’extraction d’or. Reportage du village yanomami Halikato.

Neuf heures du matin à Halikato : le chef Juca Halikatotheli, chaussé de bottes en caoutchouc et un fusil à l’épaule, donne le signal de départ. Le chemin vers les cacaoyers sauvages monte le long de petites pistes, par 35°C et un taux d’humidité de 90 %. Du plus haut de la cime des arbres émanent des stridulations continues et lancinantes : les cigales accompagnent les hommes de l’équipe dont font également partie de jeunes cultivateurs de cacao. Ils entretiennent le chemin avec leurs machettes pour ne pas qu’il soit envahi. Juca avance d’un bon pas, plie les branches sur le côté et regarde quels troncs d’arbres pourraient être utilisés pour traverser les petites rivières. Agé de 32 ans, Juca Halikatotheli est papa de quatre enfants, chef et « bonne âme » d’Halikato. Il rassemble tous les enfants lorsque vient la nuit, anime les réunions et entretient les relations avec les personnes extérieures. Juca, qui a lui-même été à l’école chez des missionnaires dans la région, est enseignant à Halikato. Il occupe actuellement la position de chef suppléant pour son frère qui est gravement malade du paludisme. On peut dire que Juca a le sens des responsabilités

Après une bonne heure, le groupe arrive à destination : une vingtaine de cacaoyers sauvages que les hommes ont découvert par hasard en chassant et qu’ils entretiennent désormais. Juca coupe les cabosses des hautes branches à l’aide d’une machette attachée à un long manche. Pendant ce temps, les jeunes hommes grimpent le long des arbres pour récolter les fruits et fabriquent des sacs à dos en palmier et en lianes pour le transport.

32

Près du village de Halikato, dans l'état brésilien de Roraima, on récolte des fruits de cacao sauvages.

35

Les cultivateurs de cacao fabriquent sur place un sac à dos avec des feuilles.

34

Ils enveloppent les cabosses de cacao dans des feuilles et les transportent au village dans un sac à dos qu'ils ont fabriqué eux-mêmes.

37

Les cultivateurs de cacao rentrent au village avec une récolte abondante.

Protégé mais tout de même en danger

Halikato est un village récent : il fut construit il y a trente ans, après des conflits au sein de la communauté yanomami. C’était aussi à cette époque que les premiers contacts avec le monde extérieur eurent lieu. Ce village de 200 habitant·e·s compte une quinzaine de maisons de bois, paille et feuilles de palmier et se trouve au centre de la « Terra Indígena Yanomami » (TIY), au nord-ouest de l’Etat Roraima, près de la frontière vénézuélienne. Le territoire autochtone reconnu par le gouvernement comme TIY est deux fois plus grand que la Suisse et bénéficie du plus haut statut de protection. Et pourtant les gens qui y habitent ont à gérer d’énormes défis. A une bonne heure d’Halikato se trouve Boa Vista, capitale de l’Etat de Roraima. La ville garde un lien étroit avec l’ex-président d’extrême-droite Jair Bolsonaro. Elle est le centre du business agraire et un immense mémorial dédié aux orpailleurs montre bien la position de la ville sur cette question. « Pendant sa présidence, Bolsonaro n’a pas fait appliquer la loi : il a laissé le champ libre aux orpailleurs dans la Terra Indígena Yanomami et les a même encouragés officiellement », affirme Ronei de Jesus Silva, agronome de l’organisation partenaire de Voices ISA (Instituto Socioambiental). Fin 2022, quelque 20 000 orpailleurs illégaux officiaient sur la TIY. Et avec eux, la déforestation, les incendies de forêt et la criminalité. Les conséquences indirectes pèsent lourd dans toute la région : prolifération du paludisme et du coronavirus, empoisonnement des cours d’eau au mercure. Le nouveau président Luiz Inácio Lula da Silva a commencé, en 2023, une grande opération militaire pour chasser les orpailleurs mais le problème n’a pas été éliminé pour autant. Actuellement, il n’y a pas d’extraction aurifère autour d’Halikato. Mais à Palimiu, un village un peu plus grand aux alentours, les orpailleurs ont perpétré un massacre en 2022, faisant notamment des victimes parmi les enfants.

Karte_Yanomami_Voice_Fr

Une alternative à l’or

« Les orpailleurs sont des envahisseurs, des criminels, clame Julio Yek´wana, président de l’organisation yek´wana Seduume (Associação Wanasseduume Ye´kwana), dont la communauté vit dans la même région. Ils recrutent de jeunes hommes pour qu’ils leur montrent le chemin à travers la forêt. Ils corrompent nos jeunes avec de l’or et de l’argent. » Par la culture du cacao, le projet de l’organisation partenaire ISA propose une alternative à ce problème. L’objectif est de renforcer la solidarité des communautés autochtones et leur attachement à leur cadre de vie. Ils peuvent ainsi plus facilement résister à l’extraction aurifère et tout de même générer un petit revenu. Le projet s’adressait tout particulièrement aux jeunes hommes au départ, mais il y a aussi des femmes qui s’y impliquent : elles sont responsables des champs et se forment en comptabilité et en administration. En outre, une chaîne de création de valeur a commencé en 2022 pour les femmes pratiquant la vannerie. « J’aime beaucoup ce projet, déclare Juca Halikatotheli, qui, parmi toutes ses missions, dirige aussi le groupe des jeunes cultivateurs de cacao. Nous pouvons acheter des choses importantes telles que des hamacs, des outils ou des aliments et mieux prendre soin du village. »

Là où le cacao et l’espoir poussent

De retour au village, les cultivateurs de cacao déposent les fruits sur une natte de feuilles de bananier et les coupent. Beaucoup de femmes et d’enfants se sont regroupé·e·s tout autour afin de récupérer de la chair sucrée de ces fruits. Juca sépare la pulpe des fèves et les passe au tamis pour les nettoyer. Les fèves récoltées sont soit séchées puis fermentées pour la production de chocolat soit, comme aujourd’hui, utilisées pour semer de nouvelles plantes. La communauté possède en effet, en plus de ses champs de légumes et de fruits, une petite plantation de cacao d’environ 500 arbres à laquelle devrait s’ajouter une deuxième parcelle, début 2025. Le développement du projet de culture du cacao était tout sauf évident : les villages yanomami et yek’wana viennent de traverser quatre années particulièrement compliquées. La crise du coronavirus les a lourdement touché·e·s et les orpailleurs n’ont pas manqué de saisir cette occasion. Les communautés sont également fortement impactées par la crise climatique. Outre les inondations et la sécheresse, des incendies incontrôlés dévastent régulièrement leur production : ces communautés qui ont toujours connu la culture sur brûlis ne contrôlent plus cette méthode en raison des nouvelles périodes de sécheresse, et doivent s’adapter à la crise climatique.

Neuf heures du matin à Halikato, le lendemain : la communauté se regroupe autour de la serre, un peu en dehors du village, où 1600 petits sacs remplis de terre ont été préparés. Juca montre comment faire : les fèves de cacao doivent être plantées dans la terre avec la pointe rugueuse vers le bas, pour que la racine pousse dans le bon sens. Tandis que les femmes se mettent à la tâche, Juca Halikatotheli poursuit : « Nous souhaitons développer la production de cacao, continuer d’apprendre et en prendre soin. Et cela me motive quand je vois que notre chocolat est demandé. »

IMG_0673

De nouvelles boutures sont prélevées sur les fèves de cacao récoltées. Les fèves doivent être plantées dans le sol avec l'extrémité rugueuse vers le bas. En plus des cacaoyers sauvages, la communauté possède également une petite plantation de cacao d'environ 500 arbres, qui sera complétée par un deuxième champ début 2025.

IMG_0400_Seite_2_3

Les fruits sont coupés en deux et les fèves de cacao sont séparées de la pulpe.

IMG_0412_Seite_3_3

Les fèves de cacao, séparées de la pulpe, sont lavées sur des tamis, puis séchées et fermentées pour la production de chocolat, ou bien utilisées pour la plantation de nouveaux arbres, comme c'est le cas actuellement.

Communautés Yanomami en Amazonie

Terra Indígena Yanomami

Les terres des Yanomami se situent entre le Rio Branco et le Rio Negro. Ce territoire, officiellement reconnu depuis 1992, est deux fois plus grand que la Suisse et est à cheval sur le Venezuela et le Brésil. Il s’agit de la plus grande surface boisée au monde reconnue comme un territoire autochtone.

On estime que les communautés yanomami comptent entre 27 000 et 45 000 membres. On suppose par ailleurs que résident sur ce territoire au moins deux communautés de peuples volontairement isolés, à proximité immédiate des sites d’orpaillage. Six groupes linguistiques et 16 dialectes sont connus.

Les Yanomami disposent d’un énorme savoir botanique transmis de génération en génération et utilisent environ 500 plantes de la forêt tropicale pour manger, se soigner, s’outiller, aménager leurs logements et fabriquer des objets du quotidien. Ils cultivent des jardins forestiers dans lesquels ils font pousser diverses cultures et légumes. Ces communautés pratiquent également la cueillette, la pêche et la chasse, selon une répartition bien organisée.

Une scène de désolation

Cependant, les Yanomami et leur territoire sont en danger depuis des décennies : des représentant·e·s de gouvernement, des militaires, des éleveur·euse·s et surtout des orpailleur·euse·s ont semé la désolation dans la forêt. L’une des routes construites dans les années 1970 fait office de point de départ pour la recherche d’or et la déforestation et permet aux personnes extérieures d’introduire des armes, des agents pathogènes ou encore de l’alcool sur le territoire yanomami.

Aujourd’hui encore, ces communautés subissent des attaques violentes de la part des orpailleur·euse·s pouvant aller jusqu’au meurtre, à la déforestation et à l’extraction illégale de matières premières, des décès dus à des maladies évitables (agents pathogènes importés de l’extérieur), la malnutrition et l’intoxication des rivières par le mercure des mines d’or. Et depuis la pandémie de COVID et le mandat de l’ex-président Jair Bolsonaro au bilan catastrophique pour la forêt amazonienne, la situation sanitaire ne s’est pas vraiment améliorée, bien que le président actuel Luiz Inácio Lula da Silva ait déclaré juste après son élection l’état d’urgence sanitaire en Terra Indigena des Yanomami. Il a notamment justifié cette décision par les fréquentes intoxications au mercure causées par les déchets de l’extraction aurifère, et par la menace de pénurie alimentaire résultant de la crise climatique. Dans ce contexte de situation d’urgence, Lula a pris des mesures contre les orpailleur·euse·s et mené une opération militaire visant à chasser du territoire des Yanomami les orpailleur·euse·s illégaux. Les communautés yanomami restent toutefois soumises à des menaces d’envergure. Les mesures gouvernementales à l’encontre de l’orpaillage illégal limitent les activités des orpailleur·euse·s mais ils·elles restent, comme avant, bien présent·e·s sur le territoire.

Une crise sanitaire critique

La crise sanitaire n’est pas non plus résolue, loin de là : le taux de mortalité par malnutrition chez les enfants yanomami est 191 fois plus élevé que la moyenne nationale. Dans les régions d’Auaris et de Maturacá, 8 enfants yanomami sur 10 souffrent de malnutrition chronique, et cette triste liste ne s’arrête pas là. La prévalence de la malaria reste très élevée. Etant donné que le personnel soignant peut désormais mieux se rendre auprès des communautés, il faut espérer que les cas vont diminuer.

En outre, la crise sanitaire est aggravée par la crise climatique : des conditions météorologiques extrêmes ont marqué ces dernières années, notamment avec des précipitations beaucoup trop importantes puis une sécheresse massive, ce qui a conduit à des pertes de récoltes. La sécurité alimentaire n’est plus assurée.

Les communautés yanomami plaident donc en faveur de la mise en place d’un système sanitaire qui fonctionne, de l’expulsion des mineurs et de la poursuite judiciaire contre les crimes qui ont été et sont encore commis. Les territoires yanomami doivent être protégés et conservés.

Effets du changement climatique sur le bassin amazonien

La forêt des superlatifs

Le fleuve Amazone serpente à travers le poumon vert de notre planète. En tant que fleuve le plus riche en eau du monde, alimenté par la plus grande forêt vierge de la planète, il déverse d’immenses quantités d’eau dans l’Atlantique. La forêt amazonienne abrite quant à elle plus de 10 % de toutes les espèces animales et les vastes espaces boisés constituent le plus grand réservoir naturel de CO2 au monde. Cependant, les précipitations dans cette région tendent à diminuer, ce qui a des conséquences fatales.

La forêt amazonienne menacée d’effondrement

La déforestation, les incendies et la sécheresse ont quasiment anéanti les forêts tropicales du bassin amazonien. La forêt n’a jamais brûlé aussi souvent, ni sur des surfaces aussi importantes, qu’en 2024. Les responsables ? Une combinaison de facteurs : le changement climatique, le phénomène El Niño et des incendies volontaires illégaux. Les périodes de sécheresse deviennent de plus en plus fréquentes et extrêmes – cela est dû au changement climatique. En combinaison avec la déforestation, celui-ci entraîne en Amazonie une spirale destructrice, car la forêt tropicale produit plus de la moitié de ses précipitations elle-même, par évaporation. La diminution de la densité forestière provoque une réduction des précipitations, et les périodes sèches, qui se prolongent et s’intensifient, entraînent à leur tour une diminution de la masse forestière. La forêt menace de s’auto-détruire et risque ainsi de libérer dans l’atmosphère tout le CO2 qui y est stocké. Des premières études mettent en garde : on pourrait bientôt atteindre un stade irréversible. Si la forêt et, avec elle, les précipitations disparaissent, une grande partie de la forêt tropicale pourrait déjà rendre l’âme d’ici 2030 et ainsi démolir notre poumon vert. Cet effondrement aurait des répercussions dévastatrices sur le climat à l’échelle mondiale.

Les communautés autochtones protègent la forêt

Les zones protégées par l’Etat et surtout les territoires des communautés autochtones offrent toutefois une lueur d’espoir. Des études révèlent en effet que ces zones boisées quasiment intactes font office d’îlots de verdure par rapport au reste de la forêt, dont les jours sont comptés. Au Brésil, 90 % des surfaces qui ont été déforestées l’ont été en dehors de zones protégées. Il convient de souligner que sur la totalité des zones déboisées, seul 1,6 % se situait sur des territoires autochtones. C’est aussi pour cette raison que Voices soutient ses communautés autochtones partenaires dans la lutte pour la reconnaissance de leurs territoires. Un aspect central à cet égard est ce que l’on appelle la démarcation : équipées de peinture et de GPS, des membres des communautés autochtones partent pour des expéditions de plusieurs jours à travers la forêt tropicale pour délimiter leur territoire afin qu’il puisse ensuite être reconnu et protégé par l’Etat à l’issue d’un long processus.

Extraction de l’or en Amazonie

Les mines détruisent le milieu de vie

L’extraction de l’or sur le territoire amazonien menace fortement l’environnement et les populations autochtones. Les orpailleur·euse·s et les mines détruisent de précieux écosystèmes par la déforestation, le bouleversement des terres et la construction de routes au plus profond de la forêt tropicale. L’un des dommages les plus graves causés est certainement l’utilisation du mercure, métal hautement toxique utilisé pour amalgamer l’or. Le mélange sédiments et mercure est chauffé à haute température. Durant ce processus, le mercure s’évapore dans l’atmosphère et se retrouve dans l’eau de pluie ou se dépose sur les plantes, dans les sols et les cours d’eau. Le mercure liquide est aussi déversé directement dans la nature. Ceci conduit à une intoxication massive de l’ensemble de la chaîne alimentaire. On retrouve des taux de mercure extrêmement élevés chez les poissons et oiseaux vivant dans ou à proximité des territoires concernés.

Le mercure empoisonne la nature, les êtres humains et les animaux

Le mercure a un également un impact très néfaste sur la santé humaine. Les communautés autochtones sont les premières touchées, puisqu’elles vivent à proximité des cours d’eau et des mines. Etant donné qu’elles vivent de la pêche et qu’elles utilisent au quotidien l’eau des rivières, elles sont en contact direct avec les métaux toxiques. Chez les femmes enceintes, le mercure peut passer la barrière placentaire et causer des dommages dans le cerveau du fœtus en développement. Les nouveau-nés et les jeunes enfants sont particulièrement exposés aux effets neurotoxiques du mercure car leurs organes sont en formation.

Conflits sur les territoires autochtones

L’extraction de l’or en Amazonie engendre des conflits de société considérables ainsi que des violations des droits humains. Des attaques et abus de la part des orpailleur·euse·s à l’encontre des communautés autochtones ne cessent d’être rapportés. Les orpailleur·euse·s et entreprises font souvent primer leurs intérêts économiques sur tout, sans égard aucun pour le mode de vie et les droits de la population locale. Avec l’orpaillage, l’alcool, les armes et les maladies s’introduisent sur les territoires autochtones et menacent ainsi les populations locales. En outre, l’extraction illégale de l’or attire des groupes criminels qui profitent du commerce de l’or. Ceci accentue la corruption, la violence et les activités illégales, aggravant ainsi les relations déjà tendues dans les régions en question.

 L’extraction de l’or reste problématique

Il convient de conclure que l’extraction de l’or sur le territoire amazonien constitue l’une des plus grandes menaces pour l’environnement et les populations autochtones. Les dangers écologiques et sanitaires qui y sont liés, en particulier l’intoxication au mercure, demandent que soient prises des mesures d’urgence au niveau national et international afin de stopper ces pratiques destructrices et de protéger les droits des communautés concernées.

L’interdiction du mercure, des contrôles stricts des permis d’extraction et surtout une sanction conséquente en cas d’extraction illégale sans permis et dans les territoires protégés sont des mesures indispensables. Il est nécessaire d’obtenir de la transparence sur toute la chaîne d’approvisionnement en or, c’est pourquoi Voices s’engage pour une loi sur la responsabilité des multinationales.

Autres publications sur le thème

Plus sur le thème

Souscription à la newsletter

Notre newsletter vous informe sur les développements politiques actuels et sur l'engagement de Voices et de nos organisations partenaires.

Prénom *
Nom *